Urgence!

 

Urgence rime avec conscience comme autoroute avec déroute.

Cette prise de conscience salutaire mais encore partielle est là. Les citoyens l’ont montrée lors du scrutin du 7 Juin 2009. Le défi majeur, du siècle qui commence, que représente la préservation de notre environnement et de notre santé se dresse devant nous comme une muraille sans cesse plus infranchissable à mesure que nous tardons à réagir. Il ne tient cependant qu’à nous, citoyens, industriels, élus, de franchir intelligemment cet obstacle ou de continuer tête baissée pour venir finalement se fracasser contre la dure réalité de sa paroi.

Le projet de prolongement de l’A104 est un exemple paroxystique des erreurs du passé avec lesquelles il nous faut définitivement rompre. En trois ans, les consciences ont évolué plus que durant ses 30 dernières années. Le film s’accélère, revenons un peu en arrière pour bien comprendre cette révolution en marche.

 

Le 24 Octobre 2006 : le ministre de l’Equipement, des Transports, du Tourisme et de la Mer, M. Dominique Perben a choisi pour le prolongement de l’A104 le tracé dit « vert » qui ferait passer 22 km d’autoroute à travers un tissu ultra urbanisé de 10 communes, touchant près de 200.000 habitants pour aboutir en cul-de-sac sur l’A13 déjà saturée. Le plus mauvais tracé pour la plus mauvaise solution de déplacement en milieu urbain sachant qu’à l’horizon 2015/2020, date prévisionnelle de mise en service du projet, les considérations énergétique économique et de mobilité auront encore évolué grandement pour s’éloigner un peu plus encore que ces concepts révolus. Cette décision a été prise il y a 3 ans, contre l’avis des populations après un débat public long de 4 mois durant lequel plus de 12.000 participants étaient venus, arguments à l’appui, démontrer que d’autres solutions de déplacement étaient possibles et même économiquement et socialement plus rentables. Depuis, le contexte a changé, la prise de conscience a progressé…

 

Depuis cette décision il y a eu…

 

Le 2 Février 2007 : Jacques Chirac à la conférence « Citoyens de la Terre » qui nous invite à la « Révolution Ecologique ». Dans un discours réaliste et factuel, il met en garde tous les citoyens sur le fait que : « Nous sommes la première génération consciente des menaces qui pèsent sur notre planète. La première. Et nous sommes aussi probablement la dernière en mesure d’empêcher l’irréversible ».

Il nous exhorte ensuite à agir concrètement car : « Nous sommes, et à juste titre, fiers de notre intelligence et de nos prouesses techniques. Mais, en quelques siècles, nous avons brûlé des ressources accumulées durant des centaines de millions d'années. Nous détruisons des écosystèmes qui abritaient une biodiversité perdue à jamais, nous privant ainsi de clés indispensables pour le futur. Tout cela, nous le savons : alors, pourquoi tardons-nous à prendre les mesures qui s'imposent ? Parce que, dans un égoïsme coupable, nous refusons d'en tirer les conséquences. Parce que nous sommes incapables de nous affranchir de schémas de pensée obsolètes, d'une structure économique héritée du XIXème siècle. Parce que notre organisation politique internationale est inadaptée à l'enjeu vital du XXIème siècle, qui est l'enjeu écologique. »

 

La prise de conscience s’accélère, car depuis il y a eu…

 

Le 26 Octobre 2007 : Nicolas Sarkozy lors de la réunion de clôture du « Grenelle de l’Environnement » invoque l’inversion de la preuve et ordonne « Je veux que le Grenelle soit l’acte fondateur d’une nouvelle politique, d’un « new deal » écologique, en France, en Europe, dans le monde. Ce ne sera plus aux solutions écologiques de prouver leur intérêt, ce sera aux projets non écologiques de prouver qu’il n’était pas possible de faire autrement. Nous allons appliquer immédiatement ce principe à la politique des transports. Le Grenelle propose une rupture : je la fais mienne. La priorité ne sera plus au rattrapage routier mais au rattrapage des autres modes de transport. »

 

En Novembre 2007 : Le Groupe International d’Expert sur le Climat (GIEC) qui regroupe des membres de 192 pays délivre son rapport concernant les évolutions probables du climat. Les constats sont alarmants et unanimes :

Le caractère anthropique de l’augmentation de la température de l’atmosphère et par voie de conséquence des modifications du climat ne fait plus aucun doute.

Les concentrations de gaz carbonique dans l’atmosphère ont atteint des niveaux jamais vus depuis 650 000 ans.

Au cours des cent dernières années, le climat s’est réchauffé de 0,74°C en moyenne globale. Ce réchauffement s’est fortement accéléré au cours des cinquante dernières années.

Onze des douze dernières années figurent au palmarès des douze années les plus chaudes depuis 1850.

Le niveau de la mer s’est élevé du double de la moyenne enregistrée durant tout le vingtième siècle.

Une augmentation du nombre des cyclones tropicaux intenses est observée dans l’Atlantique Nord et d’autres régions du globe depuis 1970.

La température moyenne annuelle du globe s’élèvera de 0,2°C par décennie au cours des deux prochaines décennies, pour atteindre 1,1°C à 6,4°C d’ici 2100.

Les phénomènes climatiques seront aggravés : multiplication de certains événements météorologiques extrêmes (canicules, inondations, sécheresses ,…).

Un bouleversement de nombreux écosystèmes, avec l’extinction possible de 20 à 30% des espèces animales et végétales si la température augmente de plus de 2,5°C, et de plus de 40% des espèces pour un réchauffement supérieur à 4°C.

Des crises liées aux ressources alimentaires : dans de nombreuses parties du globe (Asie, Afrique, zones tropicales et sub-tropicales), les productions agricoles chuteront, ce qui risque de provoquer des crises alimentaires, sources potentielles de conflits et de migrations.

Des dangers sanitaires : le changement climatique aura vraisemblablement des impacts directs sur le fonctionnement des écosystèmes et sur la transmission des maladies animales, susceptibles de présenter des éléments pathogènes potentiellement dangereux pour l'homme.

En Europe : cohérence entre les changements déjà observés et ceux simulés pour le futur (augmentation des inondations à l’intérieur des terres et des inondations côtières, accroissement de l’érosion, réduction de la couverture neigeuse, extinction d’espèces, diminution des précipitations en été, vagues de chaleur) posant problème à de nombreuses

activités économiques.

Taux de croissance des émissions de GES* entre 1970 et 2004 : + 70 %

CO2 : + 80 %

Fourniture d’énergie : + 145 %

Transport*: + 120 %

Industrie*: + 65%

Utilisation des terres, changements d’usage des terres et foresterie*: + 40%

 

* GES : gaz à effet de serre

 

La forte hausse des émissions est principalement alimentée par la croissance de la population et du produit intérieur brut (PIB) par habitant. Elle n’a été que faiblement compensée par la baisse continue de l’intensité énergétique. Les pays industriels, avec 20% seulement de la population mondiale, sont responsables de 46 % des émissions. Les politiques mises en place pour réduire les émissions de GES ont commencé à limiter la hausse générale des émissions mais elles restent insuffisantes : sans mesures supplémentaires, les émissions mondiales continueront de croître dans les prochaines décennies.

Pour des objectifs ambitieux, tous les secteurs, en particulier la construction, l’industrie, la production d’énergie, l’agriculture, les transports, la gestion des forêts et celle des déchets peuvent et doivent contribuer ensemble aux actions d’atténuation. Le transport offre de multiples options d’atténuation même si ces dernières s’avèrent plus longues à mettre en oeuvre du fait de l’inertie de nos systèmes de transport et d’organisation spatiale.

 

La prise de conscience est là et les décisions concrètes commencent car depuis il y a eu…

 

Le 21 Octobre 2008 : l’Assemblée nationale vote à l’unanimité moins 4 voix la loi dite « Grenelle 1 ». Ce texte fondateur stipule dans son second article que « La lutte contre le changement climatique est placée au premier rang des priorités. Dans cette perspective, est confirmé l’engagement pris par la France de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050 […]. La France se fixe comme objectif de devenir l’économie la plus efficiente en équivalent carbone de la Communauté européenne d’ici à 2020. »

Dans son chapitre 3, articles 12 et 13 relatifs aux transports, on peut lire : « L’objectif est de réduire, dans le domaine des transports, les émissions de gaz à effet de serre de 20 % d’ici à 2020, afin de les ramener à cette date au niveau qu’elles avaient atteint en 1990. Pour le transport des marchandises, le développement de l’usage du transport fluvial, ferroviaire, du transport maritime et plus particulièrement du cabotage, revêt un caractère prioritaire. »

«  L’objectif pour les transports de voyageurs est de diminuer l’utilisation des hydrocarbures, de réduire les émissions de gaz à effet de serre, les pollutions atmosphériques

et autres nuisances et d’accroître l’efficacité énergétique, en organisant un système de transports intégré et multimodal privilégiant les transports ferroviaires, maritimes et fluviaux dans leur domaine de pertinence. »

Le développement de l’usage des transports collectifs de personnes revêt un caractère prioritaire. À cet effet, il sera accordé, en matière d’infrastructures, la priorité aux transports en commun dans les zones urbaines et périurbaines et pour les déplacements interurbains, et aux investissements ferroviaires, maritimes et fluviaux par rapport au développement de projets routiers ou aéroportuaires.

Dans les zones urbaines et périurbaines, la politique durable des transports vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre […]. En Île-de-France, un programme renforcé de transports collectifs visera à accroître la fluidité des déplacements, en particulier de banlieue à banlieue.

 

Que faut-il ajouter à ce texte de loi qui fait l’unanimité au sein des représentants du peuple et qui inscrit volontairement la France dans une spirale vertueuse la plaçant efficacement en pointe dans le domaine de l’aménagement moderne du territoire et de la gestion des ses besoins en déplacement.

 

Et tout dernièrement, un fait nouveau, un signal extrêmement fort des Franciliens, il y a eu…

 

Le 07 Juin 2009 : Les élections européennes voient le parti défendant la protection de l’Environnement recueillir plus de 16% des suffrages et en Ile-de-France se placer juste dernière le parti présidentiel avec 20,86% des voix. Ce signal fort doit être entendu par tous. Les élus en premier lieu bien sûr, mais aussi toute la société civile car ce cri d’alarme qu’ont voulu pousser les Franciliens, qui sont frappés au premier plan par la dégradation de leur environnement direct (pollution chimique, sonore, etc..), est représentatif de la mutation en cours. Nous sommes prêts et en ordre de bataille dorénavant pour aborder le problème de l’environnement de face. Finis les beaux discours vite oubliés; les électeurs ont montré où ils situaient leur priorité. Nous n’avons pas le droit d’hypothéquer l’avenir de nos enfants en restant arc-boutés sur des idéaux obsolètes et contraints par une frilosité maladive à refuser de faire le saut dans le nouveau millénaire.

 

Nos concitoyens et les Franciliens en particulier, qui ont placé la protection de l’environnement  au centre de leurs priorités, ont pris conscience des efforts que chacun doit fournir pour faire en sorte que notre avenir ne soit pas hypothéqué. Chacun d’entre nous commence à pratiquer les gestes indispensables à la préservation des ressources naturelles qui s’épuisent actuellement à un rythme insoutenable. La parcimonie devient peu à peu une qualité première. Mais ces implications et ces réflexions de tous les instants, qui loin de transformer nos vies en d’austères chemins de croix, les magnifient en de fabuleuses épopées du vivant, doivent être portées et démultipliées par des décisions politiques de même nature. En effet, il serait extrêmement contre-productif que vous, les décideurs, ceux à qui le peuple, par délégation, a transféré son pouvoir pour assumer les tâches de responsabilités, ne preniez pas la tête de ce combat pour la vie, pour l’humanité. Vos fonctions vous obligent à l’exemplarité et vous contraignent à être pro-actifs.

Ces schémas hérités du XIX siècle dont parlait le président Chirac, il nous faut les abandonner pour de bon. Pour notre santé, pour notre environnement mais aussi pour des raisons économiques car s’accrocher au passé n’a jamais aidé nos entreprises à se développer. Nous avons, vous avez, le devoir de vous tourner résolument vers l’avenir. Et l’avenir passe par un autre modèle de déplacement, surtout dans les régions fortement urbanisées. Les avantages de ce nouveau paradigme sont multiples. Les gisements d’emploi crées par les filières concernant les énergies renouvelables ou les transports alternatifs à la route sont plus importants que pour les solutions conventionnelles et très difficilement délocalisables. La haute technologie indispensable au passage à cette nouvelle ère est un tremplin de plus qui permettra à notre région et à notre pays de rester en tête dans la compétition internationale actuelle. Ne pas s’engager à fond dans cette nouvelle voie équivaudrait, une nouvelle fois, à faire de la France un pays à la traîne et de l’Europe un vieux continent.

Nous vous demandons donc expressément de mettre fin à ce projet de prolongement de l’A104 à travers le Val-d’Oise et les Yvelines et, à l’aune des paramètres nouveaux survenus depuis octobre 2006, de réorienter les besoins de déplacements de la zone vers des solutions innovantes ne s’appuyant pas sur des tracés autoroutiers. Nous vous demandons cela pour notre économie, pour notre santé, pour notre avenir.